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Réflexions sur les œuvres et leur interprétation par Kei Koito
Les numéros des plages du disque sont indiqués en caractères gras.
Bach, au lendemain de sa mort, n’avait pas encore été reconnu comme auteur de Messes, de Passions et de Cantates, ni même des Concertos Brandebourgeois. Chacun voyait en lui le prodigieux organiste virtuose et l’admirait pour son talent de concertiste en récital ou lors des services religieux, tout en saluant entre autres son art de la registration et son étonnante technique de pédale.
La plus grande partie de sa musique d’orgue écrite (90% environ, selon le musicologue G.B. Stauffer) est hélas perdue, partitions éparpillées, œuvres improvisées sans traces écrites. Fort heureusement, le reste (quelque 200 œuvres) nous est parvenu sous forme d’autographes, ou de copies grâce à sa famille, ses élèves, ses collaborateurs ou ses admirateurs qui tenaient Bach pour un des plus grands compositeurs pour l’orgue ayant jamais existé.
Contrairement aux œuvres vocales en particulier qui n’ont été reconnues, pour leur valeur intrinsèque, qu’à partir du XIXe siècle, ses œuvres d’orgue ont été transmises de son vivant déjà, ensuite de génération en génération, et jusqu’à nos jours sans interruption.
Le programme du présent enregistrement contient des compositions libres telles que différents styles de Toccata/Préludes & Fugues, ainsi que des chorals de diverses formes, comparables aux oeuvres vocales, dans lesquels se reflète la vie intérieure de leur auteur.
1. La Toccata & Fugue en ré mineur, BWV 538, dite « dorienne », est écrite entre 1712 et 1717, entre la seconde époque de Weimar et le début de Köthen quand Bach transcrivait à l’orgue et au clavier différents styles de concertos. Comme beaucoup d’autres compositeurs de l’Europe d’alors, Bach ne devait s’épanouir pleinement qu’après avoir traversé la phase italienne (Vivaldi, Torelli, B. et A. Marcello …). Les documents attestent que cette Toccata est la seule œuvre d’orgue que Bach ait plus tard lui-même exécutée, à l’occasion de l’inauguration de l’orgue de l’église Saint-Martin à Kassel, le 22 septembre 1732 (BDok II, 316 & 522).
C’est après avoir observé Bach diriger ses musiciens, probablement lors de l’exécution d’une de ses musiques sacrées, que J.M. Gesner, collègue de Bach à la Thomasschule de Leipzig, explique dans une lettre tout à fait élogieuse, adressée à M.F.Q. Quintilia, en 1738 (BDok II, 432), « […] la manière dont, seul au milieu des passages les plus denses de la musique, et bien qu’il tienne lui-même la partie la plus difficile, il remarque immédiatement que quelque part, quelque chose n’est pas joué comme il le veut ; la manière dont il maintient dans leur ordre l’ensemble des musiciens, apportant son concours à tous lorsqu’il y a une hésitation quelconque, rendant à tous la confiance ; la manière dont il ressent le rythme dans tout son corps et son être, examinant toutes les harmonies d’une oreille précise, faisant entendre de sa seule voix toutes les autres. » Pour Bach, tout cela ne pouvait-il être qu’un jeu ? On serait bien curieux de savoir comment l’organiste Bach maîtrisait les polyphonies les plus complexes pour son instrument.
Comme dans la Toccata en Fa majeur pour orgue (BWV 540/1), ou le Prélude de la 2ème Suite anglaise, la Toccata dorienne s’ouvre sur deux voix concertantes en imitation. Bien que l’autographe soit perdu, une copie ancienne nous est parvenue, portant des indications précises de changements de claviers afin d’obtenir un contraste entre Oberwerk et Rückpositif : l’opposition entre Tutti/Concerto grosso et Soli/Concertino dans un style de concerto grosso avec une forme de Ritornello – inventée entre autres par Corelli, puis par Vivaldi. Mais Bach a largement dépassé les modèles, agrandissant le style de Concerto grosso, ajoutant son style de contrepoint dense. À l’instar du premier mouvement du Troisième Brandebourgeois, le motif initial en mouvement perpétuel de la Toccata se projette jusqu’au dernier accord avec une insistance quasi hypnotique. On rappellera que les Concertos Brandebourgeois sont achevés juste après, en 1721.
Au-delà de l’influence stylistique du Nord, des modèles italiens, des progressions harmoniques rencontrées chez Pachelbel (l’Allemagne du Sud), Fischer (l’Allemagne du Centre) ou même de l’influence du Français André Raison, Bach manifeste ici pleinement sa volonté d’une maîtrise formelle et un élan impétueux et lyrique qui surpassent autant ses précurseurs immédiats que ses contemporains.
L’écriture en style de violon et ses articulations typiques de l’archet à cordes présentes dans la Toccata dorienne peut susciter la richesse et la diversité du toucher à l’orgue, ce qu’affirmait déjà en 1948 le musicologue H. Keller. Au même titre que l’orgue, Bach connaissait parfaitement – comme Nikolaus Bruhns d’ailleurs –, la technique de violon qu’il a dû apprendre dès l’enfance avec son père, Johann Ambrosius, lequel était considéré d’abord comme maître des instruments à cordes avant d’être reconnu comme directeur de musique de la ville et de la cour ducale de Johann Georg I et Johann Georg II de Saxe-Eisenach. En mars 1714, Bach ne signe-t-il pas Concertmeister u. Hofforg.: chef d’attaque et organiste de la Cour ? (BDok I, 4).
2. Ecrit en stile antico symbolisant les ambitions universelles du souverain haut-baroque, le sujet de longue haleine de la Fugue dorienne est construit sur les notes principales de la mélodie de la Toccata. La pulsation (tactus) d’alla breve, issue de la Prima prattica, reflète à la fois l’écriture vocale sacrée de la Renaissance, celle de Palestrina notamment, et les figures de Ricercar pour clavier de l’école de Frescobaldi, transmis à l’Allemagne entre autres par Froberger, Kerll et Pachelbel.
Mais les parties de divertissement sont de la pure invention de Bach. Forte motricité animée par des syncopes, suspensions, chromatismes, dissonances passagères, caractéristiques de la Spielfuge (fugue instrumentale) : tout cela crée un clair-obscur polyphonique concis, d’une étonnante élaboration, et constitue une architecture éblouissante. Sa maîtrise ne le cède-t-elle pas à celle de L’Art de la fugue?
Si les musiciens contemporains de Bach et ceux des générations précédentes se devaient de prouver qu’ils savaient aussi écrire à la manière ancienne et maîtriser la technique de composition contrapuntique héritée des XVIe et XVIIe siècles, personne en revanche n’aura travaillé dans ce domaine avec autant de passion et de profondeur que Bach, ni déployé un tel esprit quasi avant-gardiste.
Enfin, les quatre surprenantes dernières mesures créent un dialogue sur point d’orgue comparable à une grandiose œuvre sacrée avec double chœur. Comment ne pas penser à la Passion selon Saint Matthieu, aux messes, aux motets et autres cantates ?
La version autographe des 18 Chorals de Leipzig que Bach a composés de 1739 jusqu’à sa mort, constitue la révision définitive d’un plan soigneusement réfléchi d’œuvres composées une trentaine d’années auparavant, entre 1707 et 1717. On se demande bien comment les tâches si exigeantes et chargées à Leipzig ont laissé à Bach le temps de reprendre ses œuvres de jeunesse dont nous possédons en outre, pour la plupart, nombre de versions antérieures ou successives, sinon qu’il faut y voir une volonté et un effort inlassable à vouloir atteindre la perfection. Certains chorals ont été retouchés de différentes manières, en allongeant le texte d’origine, en apportant de substantielles modifications thématiques, rythmiques, ou en ajoutant certains embellissements. Les chorals sont tous inspirés par le texte liturgique, invoquant tour à tour le signe symbolique de la Trinité avec le chiffre « 3 ». Ainsi Bach essaya-t-il de parfaire et de renouveler, à travers une synthèse, l’art du choral du XVIIe au début du XVIIIe siècle.
L’appartenance des Chorals de Leipzig au recueil des « 18 » chorals est l’objet d’opinions pour le moins divergentes : effectivement le titre de « 18 Chorals » fut accolé par l’éditeur de l’Ancienne Édition Bach, dans la mesure où les quinze premiers sont autographes, les 16e et 17e étant de la main de Altnikol, le gendre de Bach, et le 18e d’une main inconnue selon G. Dadelsen (1957), ensuite soutenu par W. Breig (1978) et par P. Wollny (1999). D’autre part, H. Klotz argumente (NBA, 1958) en faveur du nombre de « 17 » chorals, en observant l’indication « in Organo Pleno » qui encadre les chorals de la Pentecôte, tandis que Y. Kobayashi défend (1988 et 2000) plutôt celui de « 16 », à partir du cycle de 21 chorals que Bach avait prévus – et qu’il n’a hélas pas pu conclure, alors que P. Williams considère (1980-1984) qu’on n’est même pas certain du nombre de chorals que la collection devait contenir, ni quel en était le plan.
3. « Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et souffrions… ». Déportés à Babylone, les Hébreux se languissent du temple de Jérusalem. Le choral An Wasserflüssen Babylon (Super flumina Babylonis, Psaume 137), BWV 653, écrit entre 1712 et 1714, se déroule dans un mouvement de danse lente, une sarabande grave sertie dans une forme de ritornello comparable au choral Schmücke dich, o liebe Seele. Si sa construction est celle d’un choral orné, héritage des compositeurs nordiques tels que Jacob Praetorius, Scheidemann, Buxtehude, Böhm ou Bruhns, Bach ajoute néanmoins un autre élément se trouvant dans le répertoire d’orgue classique français, caractéristique, lui, d’un Récit de Tierce en taille – pièce jouée sur le jeu de tierce au ténor – avec de multiples agréments. Peut-on y voir le fruit de la recherche de Bach qui avait copié de sa main, entre 1709 et 1718, le Premier livre d’orgue (1699) de Nicolas de Grigny?
Lors de l’expertise de l’orgue de la Kirche Divi Blasii à Mühlhausen, en 1708 (BDok I, 83), Bach écrit : « Tierce, avec laquelle on peut, en y ajoutant d’autres jeux, obtenir une fort belle Sesquialtera. » Nous pouvons ainsi supposer à quel point il a aimé le jeu de tierce pour obtenir la couleur de la Sesquialtera : celle-ci serait-elle à peu près analogue au « jeu de tierce » français?
Les voix des deux dessus et celle de la basse, semblables à la viole de gambe en style de « Consort music », répètent sans cesse les deux phrases initiales du choral. L’atmosphère de la pièce est plutôt sereine, mais poignante à la fois, certaines parties augmentant l’affect de l’affliction par le chromatisme et le mode en mineur. À l’instar d’un conte, c’est l’histoire de la douleur et de la plainte nostalgique d’un être humain qui rêve d’une « nouvelle Jérusalem » (Apocalypse, 21).
Depuis la découverte spectaculaire de Michael Maul et de Peter Wollny, on sait que Sébastien avait déjà reçu de son frère Johann Christoph, lequel avait recueilli le jeune orphelin, une formation musicale bien plus importante et bien plus solide qu’on ne l’imaginait auparavant. Ces deux musicologues ont en effet montré qu’à l’âge de treize/quatorze ans, alors que ses pieds pouvaient tout juste atteindre le pédalier ! le jeune garçon avait recopié de sa main la Fantaisie sur le choral An Wasserflüssen Babylon de Johann Adam Reinken. C’est donc depuis son très jeune âge que Sébastien se met à apprendre, en imitant des modèles dont il s’empare avec enthousiasme, pour ensuite les enrichir de son génie propre.
Quant au choral, on cite souvent la rencontre légendaire (mais bien réelle) avec Reinken à Hambourg, en 1720. Le vieux maître aurait beaucoup félicité Bach pour sa merveilleuse improvisation sur le même thème. On dit aussi que vingt ans après, Bach, en révisant la version antérieure du BWV 653a, a voulu rendre hommage à Reinken en ajoutant dans la coda de cette version définitive une gamme descendante au ténor soliste, à la manière du grand maître de Hambourg.
Cela dit, même si Sébastien a transcrit quelques œuvres pour clavier tirées de l’Hortus Musicus de Reinken (témoins, la fugue BWV 954 et les sonates 965 et 966), on doit souligner que l’écriture pour clavier de Bach n’a que très peu, ou quasiment pas subi l’influence de Reinken. Comme l’affirme D. Schulenberg, il n’est pas impossible que Bach ait même essayé consciemment de s’éloigner du style de Reinken. L’écriture de Bach vise une tout autre direction, y compris dans ce choral.
4. Le Trio en Sol majeur BWV deest se trouve dans un manuscrit parisien de la bibliothèque privée de Theodor Hahn, un élève de Carl Friedrich Zelter (1758-1832). Il appartient à cinq chorals virtuoses en forme de trio sous le nom de Bach, découverts et publiés en 2008 (NBA) par le musicologue Reimar Emans.
Parmi ces trios, Was Gott tut, das ist wohlgetan (Ce que Dieu fait est bien fait) se déroule sur une pulsation de 6/8. Avec ses deux dessus à deux claviers soutenus par une basse à la pédale, son style virtuose l’apparente au choral en trio Herr Jesus Christ, dich zu uns wend (BWV 655), ainsi qu’aux six Sonates en trio (BWV 525-530).
Le motif jubilant issu de l’intonation du choral se développe tout au long de la pièce en de nombreuses imitations jusqu’au stretto final. De Sol majeur, la pièce module successivement en Ré majeur, puis en la mineur et en si mineur. Ce n’est qu’au retour à la tonalité principale que la première phrase du cantique entre à la basse. Comme dans les chorals en trio Herr Jesus Christ, dich zu uns wend ou Allein Gott in der Höh’ sei Ehr’ (BWV 664) des Chorals de Leipzig, le thème entre en valeurs longues à la manière de Buxtehude, de Pachelbel, Buttsedt ou encore Kauffmann.
L’authenticité de ce beau Trio n’a pas encore été confirmée (BWV deest). Il est plausible qu’un admirateur l’ait transcrit pour orgue à partir d’une pièce de cantate perdue de Bach. Si on prolonge cette hypothèse, il en irait de même pour le Trio en sol mineur, BWV 584 (plage 11). Bach a par ailleurs utilisé ce même choral à plusieurs reprises dans différentes Cantates, les BWV 10, 12, 69a, 75, 98, 99, 100 et 144.
5. Le Prélude du Prélude & Fugue en sol mineur, BWV 535, est une entière réécriture du Prélude BWV 535a qui remonte aux années 1702. Les changements de la notation dorienne avec un seul bémol à la notation moderne avec deux bémols font penser que cette révision a été effectuée après 1717, soit lors de la seconde période de Weimar quand Bach était sur le point d’accepter le poste de Cappelmeister que lui proposait le prince Léopold de Anhalt-Köthen.
Il est intéressant de souligner qu’à cette époque-là, Bach avait déjà composé vingt-huit cantates et allait bientôt créer, vers 1720, les Sonates et Partitas pour violon seul (BWV 1001 à 1006), les Suites pour violoncelle seul (BWV 1007 à 1012) et les Sonates pour clavier obligé et violon (BWV 1014 à 1019) où il cherchait spécialement l’effet stéréophonique du relief et la polyphonie latente à ces instruments, en produisant une sorte d’illusion polyphonique dérobée, provenant notamment de l’écriture typique pour l’orgue. En revanche, à l’orgue, Bach insère davantage qu’auparavant l’idiome et l’articulation des instruments à cordes.
Apparemment, Bach a souhaité préserver le même dessin en trois parties qui se trouve dans le BWV 535a (plage 10), mais en élargissant et en transformant, avec de nombreuses idées nouvelles, chacune des trois parties. Les deux Préludes, la version princeps et sa réécriture, ont tous deux gardé les caractères de passaggio manualiter, un trillo longo et un solo de pédale.
Le concept de passaggio désigne une manière de jouer des passages solistes qui s’est développée en Italie, permettant d’interpréter un geste figuratif avec une grande liberté, notamment avec rubato, silence d’articulation et Sprezzatura (Caccini, Le nuove musiche, 1601/02). Ces changements subtils de tempo sont issus de l’art vocal pratiqué au XVIIe siècle et appliqué à la musique de clavier (entre autres par Frescobaldi, Froberger et des compositeurs nordiques). Bach utilisa ce concept, en 1707/1708 par exemple dans la Cantate 131/2 Aus der Tiefen rufe ich, Herr et dans la Suite en mi mineur pour luth (BWV 996/1) datée de 1712, ainsi que dans plusieurs œuvres en stylus phantasticus pour clavier et pour orgue, composées entre 1699 et 1708. On retrouve le même phénomène dans trois autres œuvres du présent disque (BWV 532, 550 et 720 : plages 17, 8 et 16).
Le Prélude s’ouvre dans une écriture en style de violoncelle seul, puis déroule un passaggio dont la section centrale offre chromatisme et enharmonies en progression, avant de se conclure en contrepoint rigoureux. C’est une page de belle virtuosité manualiter, faite de rebondissements en stylus phantasticus.
6. Le thème de la Fugue est étroitement relié à celui du Prélude. Par ailleurs, le trillo longo de la quatrième mesure rappelle celui du finale de la Cantate 21 Ich hatte viel Bekümmernis. Toute cette fugue se développe d’une manière très personnelle et d’allure saisissante, s’achevant par une péroraison théâtrale à cinq voix. Comme le note Philipp Spitta, chaque entrée du sujet, par accumulation progressive, est « nouvelle et d’une vivacité croissante ». Sitôt après une puissante interjection, l’éclosion simultanée de lyrisme et d’énergie en plein essor débouche sur une brillante conclusion.
7. Le choral Nun danket alle Gott, BWV 657, reprend la mélodie (1647) de J. Crüger et le texte (1648) de M. Rinkart, Mit Herzen, Mund und Händen... (Maintenant remercions tous le Seigneur, de cœur, de bouche et de main). Bach le révise entre 1739 et 1742, mais c’est le seul choral du recueil de Leipzig qui ne nous permet pas de suivre l’évolution de l’écriture, l’original, probablement composé avant la première période de Weimar, étant perdu.
Chaque section du choral est précédée d’une courte introduction où les voix anticipent le thème du choral en valeurs longues au soprano. Issu d’une écriture en forme de motet, le style de la pièce œuvre provient de l’école de l’Allemagne du Nord et du Centre.
Commençant par des notes répétées imitant une sonnerie de cloches comme si elle suscitait le courage du peuple, notes suivies d’une diminution du début de la mélodie initiale du cantique en stretto, ainsi que le note J. Chailley, « en rythme dactylique quasi dansant s’accordant aux battements des mains de la joie populaire », ce choral festif est destiné soit au mariage, – en tant que Trauungs-Chorale BWV 252, – soit au temps de la Réformation à Leipzig où on le trouve dans les Cantates BWV 79 et 192.
Bach a composé à l’orgue deux chorals pour le temps de la Réformation. Ein feste Burg BWV 720 (plage 16) exprime la volonté ferme de pallier l’obscurité et la désespérance dont le peuple avait souffert pendant la guerre de Trente Ans, alors que Nun danket... traduit plutôt une expression d’espoir et de louange qui atteignent le fond de l’âme.
Le choix des registrations a été inspiré entre autres par l’enregistrement de N. Harnoncourt de la Cantate 192, Nun danket alle Gott, assez proche du style de ce choral : deux anches douces à la main gauche et une trompette à la pédale, à la manière du Consort music nordique pour orgue du XVIIe siècle. C’est une registration par ailleurs recommandée pour ce genre d’écriture par J.F. Agricola, un remarquable élève de Bach à l’époque de Leipzig.
Toute la pièce atteste un contrepoint hautement développé en réalité pour trois instrumentistes. À l’orgue, la main gauche et la pédale forment un riche accompagnement en fugato, pendant que la main droite chante au soprano avec le cantus firmus en augmentation. On voit que le niveau d’écriture du jeune Bach surpassait déjà le modèle de tous ses prédécesseurs.
8. À l’instar du Prélude du Prélude & fugue en la mineur BWV 543a, le Prélude du Prélude & Fugue en Sol majeur, BWV 550, aurait été écrit entre 1706 et 1708, à peu près à l’époque des Cantates 4, 106 et 131, juste après l’expérience de Bach comme violoniste (ou altiste) à Weimar en 1703, et au retour de Lübeck où il s’était rendu pour écouter Buxtehude (1706). Avant de devenir organiste et Konzertmeister de la chapelle de la cour de Weimar en 1708, Bach a notamment rencontré J.P. Westhoff (1656-1705), connu comme violoniste virtuose et auteur d’œuvres de violon seul. On suppose que Bach fut alors très désireux d’étudier l’art de jouer du violon et de composer comme Westhoff qui menait une grande carrière. De nombreux documents témoignent de la soif insatiable de Bach pour apprendre de ses contemporains, ainsi que de son zèle incessant à se perfectionner jusque dans ses années de haute maturité.
Le fait que la partie de pédale du Prélude monte jusqu’au mi aigu atteste que Bach a dû connaître l’orgue de la Michaeliskirche de Buttstadt dans le duché de Weimar, instrument construit en 1701, ou celui du château de Weißenfels, daté de 1668/73, les pédaliers de ces deux instruments atteignant le fa aigu.
Le style d’improvisation rappelle ici Buxtehude ou Bruhns. La cellule initiale de quatre notes et les rythmes inlassablement répétés tout au long de la pièce sont d’une plume habile et d’un seul élan comme la fugue.
Un pont (Grave) dans le style des Goûts réunis relie le Prélude à la Fugue. En trois mesures seulement, Bach conjugue France et Italie et nous offre une remarquable écriture orchestrale lulliste en majesté d’une part, Durezza e Ligatura d’autre part, en provenance notamment de l’école de Frescobaldi via Froberger, mais aussi de celle de Corelli.
Sébastien a été nourri de toutes sortes de musiques européennes. À Ohdruf déjà (1696-1700), chez son frère Johann Christoph, éditeur principal du Manuscrit de Möller et de l’Andreas Bach Buch (R. Hill, 1987). C’est à cette époque qu’il a connu des musiques françaises telles que des transcriptions d’opéra telles que la chaconne du Phaéton de Lully (SPK, Ms 40644, Berlin) et l’Alcide de Marin Marais (MB, III 8/4, Leipzig), également des pièces pour le clavier D’Anglebert, Lebègue et Marchand en même temps que des compositeurs d’Allemagne du Nord et du Centre, ainsi que d’Italie. Cela bien avant d’aller étudier à Lüneburg, de s’imprégner de musique française au château du duc de Lüneburg, de se rendre à la cour de Celle, de visiter l’opéra de Hambourg (1700-1703), plus tard de suivre les Abendmusiken de Buxtehude à Lübeck (1705/6), et avant même de copier Dupart, Boyvin, Grigny (1709-1712) et Frescobaldi (1714).
9. La Fugue, d’une gaîté joviale et communicative, est basée sur le style de Concerto da Camera, genre illustré par Corelli. On peut se rappeler que dans sa préface de l’Armonico tributo (1682) à propos du style romain, Georg Muffat envisage la possibilité d’adapter une version orchestrale à des ensembles plus réduits, un trio par exemple, permettant ainsi d’assurer les parties de Concertino seulement avec deux violons et la basse continue pour parvenir à ce qu’il appelle un Perfetto Concerto.
En répétant un accord brisé à la manière des instruments à cordes, cette Fugue en style de Spielfuge – l’indication alla breve e staccato a été ajoutée par un copiste – a longtemps passé pour monotone. C’est tout le contraire ! Les divertissements, richement imaginatifs et bâtis sur un seul sujet dans un souci d’unité, s’enchaînent à merveille, de même que leur progression, remarquablement conduite en une seule envolée, comme le Prélude. La conclusion, point culminant de cette longue fugue, est assez inattendue : la séquence virevoltante entre les mesures 202 à 210, en ajoutant une dimension festive, ne ressemble-t-elle pas en particulier à celle que Scheidemann propose dans les huit dernières mesures de la Canzon en fa majeur, WV44, ou aux surprenants virginalistes anglais?
Les compositeurs de l’époque de Bach disposaient des Suites pour apprendre le maniement de différents rythmes, une grande variété de tempos, de mesures et de pulsations afin d’octroyer à chaque danse son caractère et son mouvement propres. Bach parvint à un tel degré d’habileté dans ce domaine qu’il réussit à donner à ses fugues un rythme irrésistible de danse, malgré la complexité de leur transcription aux claviers. En dépit d’un mètre binaire, cette fugue n’est-elle pas en effet quelque peu dansante?
Le sujet de cette fugue est construit dans le style d’une Canzona ou sous l’influence de la technique de transformation du Ricercare varié. Sur les notes principales à partir de Ré, la quinte sur l’accord de tonique en Sol majeur descend en procédant respectivement par l’intervalle de la tierce majeure ou mineure : ré, si, sol, mi, ensuite mi, do, la, fa dièse qui génèrent une descente assez phénoménale avant de revenir sur le sol, la note fondamentale. C’est-à-dire ré, si, sol, mi, do, la et enfin fa dièse pour la cadence diatonique de Sol majeur. Cette chute par tierces sur la gamme modale fait penser à Zarlino, également aux recherches d’un Frescobaldi dans son fameux Recercar Ottavo, obligo di non uscir mai digrado (1615), en d’autres termes ne procédant jamais par degré conjoint, mais strictement par intervalles de tierce, de quarte, et ainsi de suite –, mais aussi, étonnamment et plus près de nous, aux minimalistes américains. Cette Fugue BWV 550 est rigoureusement et ingénieusement ainsi construite jusqu’à la fin de la pièce. Si l’on veut bien se rappeler que Bach n’a copié les Fiori Musicali de Frescobaldi qu’en 1714, autrement dit bien après avoir composé cette fugue, cela laisse supposer qu'il aurait pu connaître d’autres pièces de Frescobaldi avant cette date.
Par ailleurs, avant de se pencher sur Vivaldi, Bach a copié vers 1709/10 le Concerto pour 2 violons, cordes et basso continuo en Sol majeur de Telemann (TWV 52, G2), écrit vers 1708/09, ainsi que le Concerto a 5 en mi mineur, opus 2 n°2, d’Albinoni. Et en 1709, il a rencontré pour la première fois Pisendel, le fameux violoniste, élève de Vivaldi. Enfin, on trouve aussi dans cette fugue certains rythmes typiquement corelliens, notamment ceux de la Sonate op.4 n°4, de 1694. Se pourrait-il qu’elle ait été composée par conséquent vers 1709/10?
Selon les pratiques d’improvisation en usage au XVIIe et au début du XVIIIe siècle, l’interprète a pris la liberté d’ajouter certains ornements, diminutions, notes de passage, etc., notamment dans les séquences avec des accords parfaits et brisés.
10. C’est dans le manuscrit de Möller (Mö 23), essentiellement rédigé par Johann Christoph, le frère de Sebastian, que se trouve le manuscrit du Prélude & Fugue en sol mineur, BWV 535a. L’œuvre date très certainement d’avant 1704. En témoignent la notation en clef de soprano et le seul et unique bémol à l’armature du mode dorien. Elle est probablement contemporaine du Capriccio en Si bémol majeur BWV 992 pour clavier (Capriccio sopra la lontananza del suo fratello dilettissimo), comme sa technique d’écriture le montre.
Après sa gradation à l’église St. Michaelis et ses études auprès de Böhm à Lüneburg, Sebastian se serait présenté à deux postes d’organiste vacants, Sangerhausen en 1702, puis Arnstadt en 1703, selon l’hypothèse de R. Stinson. Il se pourrait que le Prélude, BWV 535a/1 ait été conçu tout spécialement pour Sangerhausen, afin d’impressionner le jury par l’effet Sturm und Drang de la pièce, tout en mettant pleinement en valeur les richesses de l’instrument de l’église St-Jacques et ses différentes sortes d’anches qui ont dû séduire le jeune postulant : Zincken, Dulcian, Regal aux manuels, Posaune 16’ et Cornet 2’ à la pédale. Malgré l’enthousiasme des auditeurs, le poste ne sera pas attribué à Bach mais à un concurrent, après intervention du duc de Weißenfels.
Ce Prélude, également intitulé Passagio, est en trois parties et sa durée est relativement brève, comme de coutume en Allemagne du Centre et du Sud. Comparé au Prélude de la version révisée, BWV 535/1 (plage 5), son écriture est encore celle d’un novice. Pourtant Bach y fait preuve d’ingéniosité en tentant d’appliquer à l’écriture spécifique des instruments monodiques (violon, alto, et violoncelle probablement) tout un monde polyphonique pour le clavier mais aussi pour les voix. Dans la recherche de « sa langue à lui », on ressent déjà dans cette pièce en miniature une sorte de germination qui produira, dix-huit ans plus tard, les grandioses Sonates et Partitas pour violon, les Suites pour violoncelle.
Mais on sait aussi qu’il s’est essayé tout au long de sa vie – et avec quel accomplissement! – de traduire l’idiome des instruments monodiques au clavier et à la voix. Ce sont d’ailleurs ces actions réciproques qui confèrent à l’écriture de Bach sa profonde originalité.
Dans son J.S. Bach, The Learned Musician (New York 2001), Christoph Wolff parle à propos des œuvres de cette période de « self-conscious search for artistic identity on the part of young and ambitious keyboard virtuoso, who probably never saw himself as an apprentice and now tried to place himself in the company of other masters. » (« recherche consciente d’elle-même de son identité artistique de la part d’un jeune et ambitieux virtuose du clavier, qui ne se considéra probablement jamais comme un apprenti et qui tentait alors de se hisser au même rang que les autres maîtres ».)
Sebastian, tout juste âgé de dix-huit ans, est nommé cette fois avec grand succès, le 9 août 1703, organiste de la Neue Kirche d’Arnstadt. Il occupera ce poste près de quatre ans. Pourrait-on supposer que la Fugue fragmentaire BWV 535a/2 est écrite à cette occasion ? L’orgue comporte deux claviers et pédalier. L’Oberwerk et le Brustwerk contiennent beaucoup de 8 pieds de différentes couleurs : Principal, Viola di Gamba, Quintadehna, Grobgedacktes, Stillgedacktes, Gemshorn.
La structure de cette fugue est déjà remarquable, en dépit d’une écriture encore peu assurée et d’une péroraison incomplète. D’où la préférence pour la version définitive BWV 535/2 (plage 6), élaborée quinze ans plus tard et qui est un chef-d’œuvre incontesté parmi toutes les fugues de Bach.
11. Le 7 mai 1724, Bach compose, à Leipzig, la Cantate Wo gehest du hin ? (BWV 166) sur le texte d’un poète anonyme, où figure un sublime air de ténor (166/2) dialoguant avec un hautbois, symbole de l’élément céleste, et un violon, symbole de l’être humain sur Terre : « Ich will an den Himmel denken… Mensch, ach Mensch, wo gehst du hin ? » (« Je veux songer au Ciel… Homme, ô homme, où vas-tu ? »).
Ce Trio pour orgue, BWV 584, offre, à l’instar des mouvements lents des Sonates en trio pour orgue, BWV 525-530, des dialogues en imitation d’une rare beauté et d’une ingéniosité toute corellienne. Cet arrangement à l’orgue, sans la partie de ténor (édité dans la revue Der Orgel-Freund, Erfurt/Leipzig, 1842), est probablement dû à Bach lui-même ou à un membre resté anonyme du cercle de Bach. C’est grâce à la reconstitution effectuée par A. Dürr (1918-2011), qui a complété la partie perdue de violon à partir de cette édition, que la Cantate 166/2 a pu être entièrement reconstituée.
12. Écrite entre 1709 et 1717, la première partie de Komm, Gott, Schöpfer, Heiliger Geist, BWV 667, en forme de Partita (variation) de choral est, à quelques détails près, identique à celle du choral éponyme (BWV 631) de l’Orgelbüchlein. La mélodie et le texte de Luther ne sont autres que l’adaptation du Veni Creator Spiritus.
Dans la lignée de Scheidt, plus tard celle de J.G. Walther, le cantus firmus de ce choral apparaît d’abord au soprano et se développe d’une manière très rythmique en pulsation de danse (12/8) : l’accompagnement est incorporé à la figura corta en anapeste à l’alto et au ténor, superposé avec le syncope consonans desolato à la pédale, ce qui donne un effet d’accent et de levier extraordinaires. Le tout symbolise la spiritus vivificans (U. Meyer, 1972), en concordance avec le texte : « Komm, Gott, Schöpfer, Heiliger Geist, Besuch das Herz der Menschen dein... » (« Viens, Dieu et Créateur, Esprit Saint, Visite le cœur de tes créatures… »).
La seconde partie s’enchaîne immédiatement à la première. D’après G. von Dadelsen (1988), cette seconde partie a été ajoutée par Bach probablement vers 1746/47, et copiée vers 1750, après la mort de Bach, peut-être par J.Ch. Altnikol, disciple et gendre de Bach, ou par Dorothea, fille de Bach et épouse de Altnikol. Sinon par un autre copiste, « Anonymous Vr », d’après A. Dürr (1957), probablement du cercle de J.Ph. Kirnberger (1721-1783), lequel a travaillé intensément pour Bach entre 1742 et 1750.
Le Cantus firmus à la basse en valeurs longues est accompagné par un dessin de doubles croches qui se répand de toutes parts en figures imitatives exprimant, organo pleno, l’énergie stupéfiante des « langues de feu » de la Pentecôte. L’interprète a eu le privilège de pouvoir faire sonner ce cantique au pédalier avec le rare « Prestant 32’ » de l’orgue de la Martinikerk de Groningen, construit en 1690/91 par A. Schnitger. Ce jeu est l’unique exemplaire restant de tous les orgues historiques de l’époque baroque. À propos des jeux de 32’ de pédale, en l’occurrence un bourdon, Bach note, dans son rapport d’expertise de l’orgue de Mühlhausen en 1708 (BDok I, 83), qu’ils offrent « à tout l’instrument la meilleure gravité ».
La mélodie du choral est en mode G(sol)-mixolydien. À la fin de la cadence, plutôt tonale, Bach signe de son nom : « B » et « A » au ténor, « C » et « H » à l’alto (si bémol, la, do et si bécarre, selon la tradition allemande), tout en insérant une sixième voix à l’intérieur d’une spectaculaire hémiole. Conclusion sur un accord de septième diminuée en point d’orgue sur la note sol, lequel accord se résout par une tierce picarde.
13. Écrit entre 1713 et 1716, le choral Jesu, meine Freude, de l’Orgelbüchlein, est destiné à la période de Noël et traité comme un choral de l’Avent. Le choral qui traverse le Motet éponyme (BWV 227) a été composé avant 1735 et revêt la fonction d’une musique funèbre. Mais la date de composition et la destination liturgique de la Fantasia super : Jesu, meine Freude, BWV 713, sont incertaines.
Le terme Fantasia signifie ici qu’en cours de route, le choral change de structure. Première partie à 3 voix : le cantus firmus est en valeurs longues, l’accompagnement des deux autres voix frugal, et le rythme dactyle exprime une joie infiniment délicate. Pas une note ne manque, et pas une seule n’est de trop. L’accompagnement en Ritornello s’insère entre les lignes mélodiques du choral, lequel passe d’une voix à l’autre. Chaque entrée exprime un sentiment nouveau du texte : « Jesu, meine Freude, meines Herzens Weide… » (« Jésus, ma joie, nourriture de mon chœur… »).
Cette pièce d’une grande beauté rappelle le climat de sensibilité frémissante du Magnificat noni toni (BuxWV 205/2) de Buxtehude, et par-dessus tout, chez Bach, le Magnificat (BWV 243/11) ou les Cantates BWV 10/12 et BWV 12/6. Dans cette dernière précisément, la mélodie du choral, écrite sans paroles, se fait entendre au Tromba da tirarsi.
Le contrepoint relativement dense, notamment en raison de certains croisements de voix, a fait dire à Ph. Spitta de cette Fantasia qu’elle est un « labyrinthe exquis ». Selon certaines traditions d’exécution du nord de l’Allemagne au XVIIe siècle, malgré l’indication manualiter qui n’est peut-être pas de Bach, l’original étant perdu, et si l’orgue le permet, le cantus firmus, tour à tour au soprano, à l’alto puis au ténor, etc., peut être joué à la pédale.
La version antérieure BWV 713a nous guide pour le choix d’un instrument. Écrite en ré mineur, elle pourrait être une adaptation du BWV 713, qui est en mi. Si le doute subsiste, il est en revanche certain que le BWV 713a a été écrit pour un orgue de tempérament assez inégal, voire proche du mésotonique, pour éviter certains problèmes que pose la tonalité de mi. Par bonheur, le tempérament Neidhardt de l’orgue de la Martinikerk est particulièrement bien approprié à la version en mi, en mode phrygien, ce que ne manque pas de relever M. Lindley (Tuning and Intonation, 1990).
La partie de pédale du BWV 713a ne contient pas d’indication de hauteur de registration, pourtant le cantus firmus doit migrer à différentes hauteurs. Si le BWV 713a est bien de Bach, il se pourrait que celui-ci (ou le copiste) ait oublié de noter des indications évidentes pour l’exécution à l’orgue – indications que Bach omettait parfois dans les partitions d’orchestre. On peut supposer qu’il les indiquait aux musiciens au moment des répétitions. Si cette conjecture se révélait exacte, n’y aurait-il pas une chance que Bach ait lui-même exécuté la Fantasia?
Avec le cantus firmus de structure AAB (Barform : Aufgesang/2 Stollen et Abgesang) remontant à l’époque des Minnesinger, souvent utilisée dans les chorals luthériens, Bach confère une grande et surprenante intensité contrapuntique aux parties d’accompagnement, généralement plutôt discrètes, afin de veiller à l’équilibre des extrêmes. Deux pôles antagonistes semblent se fondre. C’est précisément cet art divin qui nous touche.
La courte seconde partie forme contraste, enchaînant une libre paraphrase en mètre ternaire (3/8). Les passages en tierces et en sixtes parallèles paraissent figurer à la fois l’union avec le Christ et l’agneau de Dieu, ce qui est également le cas dans les Cantates 13 et 161 et les chorals 618, 624, 633 et 634 qui évoquent un « Gottes Lamm mein Bräutigam » (« Agneau de Dieu mon fiancé »). Pour cette seconde partie (Abgesang), le choix s’est porté sur la version BWV 713 (manualiter), et une sonorité suave, un coloris mélancolique qui puisse exprimer une douceur céleste (la partition indique « dolce »). Une brève cadence rythmée conclut la pièce.
Ultime remarque. Les tonalités des six Suites anglaises (la, la, sol, fa, mi, ré) forment précisément la première phrase mélodique du choral Jesu, meine Freude. Coïncidence, allusion ou référence implicite ? La question reste posée...
14. Le chœur initial de la Passion selon saint Matthieu, « Kommt, ihr Töchter, helft mir Klagen… » (« Venez, mes filles, voyez mes larmes… »), poème de Picander tiré du Cantique des Cantiques) fait entendre au soprano in ripieno la première strophe du choral O Lamm Gottes, unschuldig (Innocent agneau de Dieu) dont le texte provient de l’Agnus Dei de Nicolaus Decius (1480-1546) et de la mélodie grégorienne éponyme.
Composé en triple verset itéré de l’Agnus Dei conforme à l’usage liturgique, Bach se sert pour le choral O Lamm Gottes, unschuldig, BWV 656, d’une forme de partita d’un seul tenant, unique en son genre. L’idée, nettement amplifiée, à partir du modèle de Böhm, avec différentes interprétations de la même mélodie du cantus firmus : successivement au soprano (le Père), à l’alto (le Fils) et à la basse (Saint-Esprit) pour symboliser la Trinité. La mélodie est présentée à trois puis à quatre voix. Une tension intérieure augmente progressivement et trace une trajectoire d’un seul souffle du début à la fin.
Les versus 1 et 2 sont écrits dans le style de l’Allemagne du Centre. Après avoir évoqué l’influence avérée de Böhm sur le jeune Bach, il n’est pas inintéressant également d’observer le fruit de la stimulation et de l’influence réciproques entre J.G. Walther et Bach, vers 1708, notamment en comparant les deux écritures contemporaines, le choral Allein Gott de Walther, et le BWV 656, de son jeune cousin.
Le versus 3 est divisé en trois segments. Premier segment, l’apparition de Dieu en majesté à la pédale est suivie du deuxième segment, la lutte du Christ, traduite par un motif ternaire en forme de gigue fuguée. Ces deux segments sont constitués par le motif de la croix. À la fin du deuxième segment, un commentaire musical en courbure traduit le texte « All’ Sünd’ hast du getragen » (« Tu as porté le péché »), et déroule une spirale chromatique extrêmement intense et douloureuse, comportant la ligne descendante (passus duriusculus) finissant sur une basse de do dièse pour exprimer « ...sonst müssten wir verzagen » (« ...sans quoi nous n’aurions plus d’espoir »).
Il est très frappant que Bach ne s’attache précisément ici qu’à un seul mot, « Verzagen » (« désespéré »), qui le pousse à chercher un Affekt musical spécifique. C’est, pour J.-Cl. Zehnder (2009), ce qui caractérise la maîtrise du jeune Bach, en comparaison avec des œuvres tardives qui, elles, tiennent bien plus compte de l’intégralité d’un texte.
Après quelques mesures d’un passage chromatique saisissant, c’est par une transmutation aussi soudaine qu’inattendue qu’arrive le troisième segment, diatonique, le libérateur « Gib uns den Frieden » (« Donne-nous la paix »), en lieu et place de « Erbarm dich unser » (« Aie pitié de nous ») des premier et deuxième versets. Pour l’auditeur, c’est l’Univers tout entier qui s’ouvre.
Afin de symboliser ce dernier segment, au lieu de l’atmosphère sereine que l’on trouve par exemple dans Jesu meine Freude, BWV 713, (plage 13), je me suis permis d’exécuter O Lamm Gottes, BWV 656, en tutti à l’orgue, en pensant au Dona nobis pacem, ultime pièce de la Messe en si, BWV 232, mobilisant le chœur et tout l’orchestre, y compris trois trompettes et timbales, et en pensant également à l’Alla breve pour orgue, BWV 589, écrit beaucoup plus tôt, entre 1703 et 1707. Les sujets de ces deux œuvres proviennent par ailleurs de Corelli (op.6, n°1/3).
Le thème « Lamm Gottes » (« Agneau de Dieu ») a été ô combien important pour l’église luthérienne de l’Allemagne d’alors. Une des preuves incontestables réside dans l’illustration intitulée Theatrum Instrumentorum du Syntagma Musicum (volume II, 1619) de Michael Praetorius : à la cheville de l’Agneau de Dieu se trouvant au centre de la partie supérieure de cette gravure, on lit « Ecce Agnus Dei », et dessous « Apoc », juste avant « In monte Sion » – « Apoc » pour l’Agneau de l’« Apocalypsis Ioannis ».
Dans le texte du chœur final de la Cantate 21, Ich hatte viel Bekümmernis, Jean voit « une multitude d’anges qui disaient d’une voix forte : digne est l’Agneau immolé de recevoir puissance, richesse, sagesse, force, honneur, gloire et louange » (Apocalypse 5/12). Cette dernière section s’achève en coda « avec une grande voix ». En outre, rappelons que les quatre premières notes de la mélodie du premier verset du choral O Lamm Gottes, BWV 656, comporte en même temps les quatre premières notes du choral Allein Gott, correspondant au « Gloria in excelsis Deo ».
Le symbolisme est constamment présent dans l’art, y compris le symbolisme numérique. Le nombre sacré ou ésotérique et ses significations secrètes et mystérieuses proviennent pour l’essentiel de spéculations pythagoriciennes, bibliques, kabbalistiques et rosicruciennes. Sous sa forme numérique, le patronyme Bach apparaît dans nombre de ses œuvres. BACH : B + A + C + H = 2 + 1 + 3 + 8 = 14. À ce propos, on remarque que le versus 3 du Choral BWV 656 commence à la mesure 104 et que son troisième segment commence à la mesure 140. Et que la 141e mesure (superposition de 14 et de 41), correspond précisément au mot « Frieden » qui est un des mots les plus importants du texte du cantique. De plus, la pièce s’achève à la mesure 152 (1 + 5 + 2 = 8). Or 8 est à la fois le nombre de la résurrection et la signification de l’éternité, la ligne du dessin de ce chiffre ne prenant jamais fin. Ne serait-ce pas ici la « paix éternelle » à laquelle Bach aurait aspiré ?
Insérée dans les Chorals de Lepizig, la révision du choral O Lamm Gottes, unschuldig présente peu de modifications par rapport à la version écrite vers 1708. On reste admiratifs devant la conception visionnaire et monumentale d’une pièce d’un auteur de vingt-trois ans!
15. Bach a dû tant aimer la mélodie du choral Herzlich thut mich verlangen nach einem sel’gen End, BWV 727 (« De tout cœur me fait aspirer à une fin heureuse ») qu’il l’a maintes fois insérée dans des cantates, dans le Weihnachtsoratorium (Oratorio de Noël), BWV 248, ainsi que dans la Matthäuspassion (Passion selon saint Matthieu) où, sous différents textes et différentes harmonisations, elle se trouve pas moins de cinq fois, ce qui symbolise la figure de la croix. Cette mélodie, ô combien « sacrée » provient vraisemblablement d’un chant d’amour, Mein G’mut ist mir verwirret (Mon cœur est troublé), de Hans Leo Haßler (1530-1591), compositeur prolifique de la Renaissance.
Ce choral à la beauté prenante est, avec les chorals O Mensch, bewein… ou encore ch ruf zu dir… de l’Orgelbüchlein, l’un des plus célèbres du répertoire d’orgue de Bach : l’harmonisation à 4 voix est simple, suivant le modèle des compositeurs de l’Allemagne du Nord et du Centre, mais extrêmement sensible. Bach applique très soigneusement dans la mélodie coloratura diverses figures rhétoriques étroitement imbriquées, ainsi qu’il devait l’enseigner à Johann Gotthilf Ziegler, l’un de ses élèves, afin d’interpréter les chorals « pas seulement du dehors, mais selon les affects que provoquent les mots » (BDok II, 423). L’usage des affects de chaque mot du texte de ce choral se trouve notamment dans le Musica Modulatoria Vocalis de W.G. Printz (Schweindnitz, 1678). Il exprime à merveille les effusions (ou Empfinsamkeit) qui s’attachent aux « joies éternelles ». La basse de la seconde partie du choral, à partir du texte « Ich hab Lust abzuscheiden » (« J’ai le désir de m’arracher ») correspond à une pulsation de Pavane lente.
Quelques diminutions sont ajoutées à la manière de Haßler, ou directement inspirées des dessins des parties de flûtes du choral final (sur le même thème) de la Cantate BWV 161/6, Komm, du süße Todesstunde, précisément sur le texte de « Mit Trübsal und Elend » (« Des tribulations et des malheurs »).
16. Bien connu par la Cantate BWV 80, le choral Ein feste Burg..., BWV 720 prend ici la forme d’une Fantasia, tour à tour à 2, 3 et à 4 voix, paraphrase et commente directement le texte de Luther (1528) : « Ein feste Burg ist unser Gott, ein guter Wehr und Waffen… » (« Une puissante forteresse est notre Seigneur, une bonne armure et une épée… »). De toutes les œuvres d’orgue de Bach, c’est le seul exemple de « cantus firmus embelli » qui migre à travers les voix.
Ce choral, aux descriptions figuralistes, d’un élan et d’une fermeté rares évoquant avec des mouvements de flux et reflux les assauts du « vieil ennemi démoniaque » (« der alte böse Feind »), entend peindre la forteresse divine dont le peuple avait effectivement besoin après la guerre de Trente Ans. On y retrouve ces motifs d’anapeste pour lesquels Bach éprouvait une vive prédilection.
Il est probable que cette fantaisie ait été jouée par Bach, ou par un autre organiste, lors de l’inauguration de l’orgue à 3 claviers et pédalier, nouvellement révisé et agrandi, de la Divi-Blasii-Kirche de Mühlhausen pour le jour de la Réformation en 1708 et dont Bach fut l’expert.
Un manuscrit de J.G. Walther a conservé la trace de la registration que Bach avait scrupuleusement indiquée : Fagott 16’ pour la main gauche et Sesquialtera pour la main droite. À propos du Fagott 16’, ce jeu installé au lieu de la Trompette 8’ à la demande de Bach, celui-ci précise (BDok, I, 83) que « le Fagott 16’ peut servir à toutes sortes d’inventions et sonne très discrètement dans la musique concertante ». En examinant entre autres les rythmes, la texture relativement carrée et les mouvements des passages parallèles, il est plausible que cette pièce ait été composée avant 1708, un brin à la manière de Buxtehude, de Bruhns ou de Johann Nikolaus Hanff.
17. C’est entre 1708 et 1712 que Bach écrit le Prélude du Prélude & Fugue en Ré majeur, BWV 532, – appelé également Concertato ou encore Pièce d’orgue –, contemporain de la Toccata en Ré majeur pour clavier, BWV 912, construite elle aussi en plusieurs parties. La première section du Prélude, elle-même subdivisée en trois parties, s’ouvre par une gamme ascendante à la pédale qui revient à trois reprises, accompagnée de passages en style de concerto italien et de toccata nordique. Puis un point d’orgue soutient un rythme solennel pointé à la française, débouchant, en fusée et en diminution, sur le retour de la gamme ascendante du ton principal. Tout cela est remarquablement construit selon les bons principes de l’art oratoire hérités de l’Antiquité.
La deuxième section, indiquée alla breve, s’inscrit dans une texture orchestrale à la Corelli, notamment celle de la Sonate a tre (op.3, n°4/4) et plus encore des Concerto grosso de l’opus 6, ce que révèlent par ailleurs les modulations en tonalités mineures et diésées, analogues par ailleurs à celles de la Toccata en Ré majeur, BWV 912, précitée. Le même dessin figuratif inspiré du modèle corellien dans ce Prélude, BWV 532/1, se trouve également chez Haendel dans une suite pour clavier (HWV 43/2), mais plus tardive (entre 1717 et 1719), dans le cinquième Concerto grosso en Ré majeur/ré mineur (HWV 316/2) et dans la Symphony (introduction) de l’Anthem II (HWV 247/1), écrite entre 1718 et 1729 sur le texte du Psaume 11.
De fait, Corelli a pour ainsi dire popularisé certains rythmes stéréotypés, en particulier des marches d’harmonie sur une basse et des passages avec contretemps et syncopes qui provenaient de la musique de danse répandue autour de 1680 en Italie, et qui furent souvent présents dans les nombreux mouvements rapides et binaires de ses sonates da chiesa ou da camera. S’il ne nous laisse qu’une seule fugue pour orgue (BWV 579) sur un thème de Corelli (op.3, n°4/2, 1689), Bach a très certainement dû connaître nombre d’œuvres de ce compositeur dont l’écriture en trio, par exemple, a servi à l’Europe tout entière de référence et de modèle dès la fin du XVIIe siècle en passant par ses élèves, tels que Geminiani et Locatelli, également par Reincken, Buxtehude, Pachelbel, Purcell, Alessandro Scarlatti, Fux, Dandrieu, François Couperin et Vivaldi jusqu’à Bach, Haendel et Telemann.
Dans cet alla breve, l’interprète a pris la liberté de jouer quelques mesures de la basse (mesures 45 à 47 et 81 à 83) au clavier manuel, sans qu’il soit forcément nécessaire d’exécuter la basse à la pédale, autrement dit dans l’esprit du Concertino.
Dans la dernière section du Prélude, un grand trait ascendant d’un motif en fusée au manuel atteste une fois encore le goût français très louis-quatorzien avec lequel le jeune Bach s’était très tôt familiarisé, d’abord au château nouvellement construit de Lüneburg, la résidence secondaire du duc Georg Wilhelm à laquelle les élèves de la Michaelisschule avaient accès pour assister notamment aux productions de la Ritter-Akademie dirigée par Thomas de la Selle, maître de danse, élève de Lully. C’est ensuite auprès de Böhm qu’il a complété sa connaissance de la musique française de clavier. Selon Karl Geiringer, il a pu se rendre, en qualité d’instrumentiste, à la petite cour francophile de Celle, dite « miniature de Versailles », entre Hambourg et Hanovre. Également à l’Opéra de Hambourg où Böhm était claveciniste/continuiste, et où exerçait un élève direct de Lully, Johann Sigismund Kusser (1660-1727). Kusser y a représenté le style français entre 1694 et 1696, mais dans dans cet opéra étaient aussi donnés de nombreux opéras italiens, comportant les récitatifs secco et accompagnato.
À ce propos, Carl Philipp Emanuel témoigne dans un premier temps que son père n’a pas éprouvé d’intérêt particulier pour l’opéra. Mais, plus tard, il rapporte que celui-ci a eu en haute estime Reinhard Keiser (1674-1739), directeur de l’Opéra de Hambourg, successeur de Kusser dès 1702, sans que Bach l’ait connu personnellement (BDk III, 803). Ce qui semble évident, c’est que Bach n’a pas du tout été insensible à la musique d’opéra. N’aurait-il pas pu être enthousiasmé en particulier par le style des « Ouvertures »?
Bach s’inspire ici également de la forme de concertato-choral, renforcée par la double pédale somptueuse de la tradition des maîtres nord-allemands, tels que pratiquées par Weckmann, Tunder et Bruhns. Assurément les styles nationaux français, italien et allemand ont le meilleur à offrir à Bach, styles qu’il fond dans une étonnante unité. Albert Schweitzer fut l’un des plus grands admirateurs de cette ultime section qu’il qualifie de « merveilleux pathos ».
Les choix du jeune Bach ont été incroyablement cosmopolites : sa passion des Goûts Réunis qui le guida vers l’expérimentation de tous les styles possibles le poussa à se préoccuper de la qualité de son discours. Il a toujours tenté de trouver de nouvelles solutions hybrides en faisant cohabiter à l’intérieur d’une même œuvre leur fusion en un tout organique cohérent. Là se trouve le cœur de son génie musical.
18. Dans le Göttingen Bach-Katalog (J.S. Bach-Institut, Göttingen, 2008), on trouve mention de dix-sept manuscrits du BWV 532, dont onze contiennent seulement la fugue. Écrite entre 1706 et 1712 environ, cette Fugue est une manière de badinage en Spielfuge (fugue instrumentale). Se déroulant au début dans une atmosphère volubile, en même temps légère, voire insouciante, elle forme un net contraste avec la densité et la gravité du Prélude. Le sujet, qui n’est que la multiplication du Grupetto du contre-sujet, s’inscrit dans un schéma répétitif, par anaphore, dans un mouvement circulaire descendant, aboutissant à un trille. Le côté badinage est illustré par ailleurs par des effets d’écho. On retrouve ces mêmes éléments dans le Concerto pour violon en Ré majeur, dit « Grosso Mogul » (RV 208a/3) de Vivaldi, que Bach devait bientôt transcrire (1713/14) à l’orgue.
Dans la tradition de l’ancienne école (Pachelbel, Reincken, Buxtehude...), cette fugue est minutieusement construite. Au lieu d’errer sans but, elle est équilibrée au moyen d’un puissant soutien harmonique que Bach intègre dans un continuo homophone de style concertant italien, tout en menant sa propre technique contrapuntique.
Comme pour la Fugue en Sol majeur, BWV 550/2 (plage 9), cette fugue se déroule en un seul souffle, et se conclut avec un brillant et très virtuose solo de pédale. Le discours en doubles-croches produit un effet de crépitement continu, manière de perpetuum mobile au ton juvénile, et d’une grande force propulsive.
Toute ma reconnaissance va à l’éditeur, ainsi qu’à celles et ceux qui m’ont aidée à réaliser cet enregistrement. La fréquentation des prédécesseurs et des contemporains de Bach a quelque peu, beaucoup parfois, infléchi mon approche de Bach. La remarquable évolution créatrice de son œuvre, en particulier la période entre Lüneburg (1700-1703) et Weimar II (1709-1717), me fascine à l’infini.
Ce programme est composé avant tout d’œuvres que j’admire depuis fort longtemps, qui me font en même temps me poser quantité de questions. Pour cet enregistrement, il a fallu toutefois que l’interprète tranche parmi des options d’exécution. Cela provient aussi de la qualité particulière de l’instrument choisi. L’orgue Schnitger de la Martinikerk de Groningen se caractérise par un timbre clair et une couleur fabuleuse de chaque jeu, par la gravité des jeux de fonds, de brillantes mixtures, une pédale puissante et totalement indépendante. J’ai découvert cet instrument unique il y a plusieurs années, depuis je ne cesse de le redécouvrir avec émerveillement.
Je me suis permis de rédiger ce texte de commentaires personnels, non pas en musicologue mais en musicienne, consciente que quelques-unes de mes hypothèses pourront être remises en cause (ou non) avec les découvertes et les nouvelles recherches des musicologues ou autres spécialistes de ce domaine.
Plus on essaie de les approcher et plus on se rend compte, qu’à l’instar de sa production entière, l’œuvre de Bach pour orgue témoigne d’une imagination novatrice débordante qui renversait souvent les barrières des formes préexistantes et lui fit écrire des séries d’œuvres incomparables, en chacune desquelles il s’avère être un authentique pionnier.
BWV : Bach-Werke-Verzeichnis, Thematisches Verzeichnis der musikalischen Werke von J.S. Bach, ed. Wolfgang Schmieder, Wiesbaden, 1990
BWV : Bach-Werke-Verzeichnis, Kleine Ausgabe, eds. A. Dürr, Y. Kobayashi & K. Beißwenger, Wiesbaden, 1998
NBA : Neue Bach Ausgabe, ed. by Johann-Sebastian-Bach-Institut, Göttingen & Bach-Archiv, Leipzig & Kassel, since 1954
BDok : Bach-Dokumente I, II, III, ed. by W. Neumann & H.J. Schulze, Leipzig & Kassel, 1963/1969/1972
MB : Musikbibliothek der Stadt Leipzig
SPK : Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz, Berlin
Veuillez consulter également les « Références bibliographiques relatives à ce texte » dans le chapitre « New Albums »